Je vous propose aujourd’hui de comparer trois séquences d’ouverture de films de Steven Spielberg. Sous l’angle, cela va sans dire, des plaisirs de la bouche.
Les séquences
Indiana Jones et le Temple Maudit
Un cabaret chinois à Shanghaï. Indiana Jones, en smoking blanc, prend place à la table d’un groupe de Chinois patibulaires. Entre les coupes de champagne qui décrivent une jolie chorégraphie sur le plateau tournant de la table centrale, se déroule une négociation serrée. Indy échange des pièces de monnaie ancienne contre un énorme diamant. L’ambiance est lourde, on sort les flingues, Indy perfore même la robe de la belle blonde de quelques coups de fourchette. La transaction conclue, Indiana considère enfin sa coupe de champagne, trinque, et la porte à ses lèvres : « À votre excellente santé. » Le champagne est empoisonné. Fusillade, perte du diamant, Indy et la blonde s’enfuient, ils vont prendre un avion.
Always
C’est l’anniversaire de notre héroïne, Deindra (Holly Hunter), et tout le monde à la base aérienne fait la fête. Deindra vit avec Pete (Richard Dreyfuss), pilote de canadair. Pete lui offre une coupe de champagne : c’est du bon, du millésimé 1989, dit-il avec un sourire en coin – nous sommes en 1989. Le lendemain, Pete monte dans son avion et se tue.
Jurassic Park
Les paléontologues travaillent sur le terrain. Ils déterrent méticuleusement un squelette de dinosaure. Survient un hélicoptère. Le vent propulsé par le rotor de l’hélico sème la pagaille sur le terrain de fouilles. Les scientifiques se précipitent dans leur maison, furieux. Ils trouvent le passager de l’hélicoptère, leur plus généreux mécène (Richard Attenborough, photo ci-dessous), dans leur cuisine, en train de siroter la bouteille de champagne qu’ils gardaient pour une grande occasion.
La lecture
La première constatation, la plus évidente, c’est que le champagne chez Spielberg, loin de célébrer les moments de bonheur, est annonciateur de catastrophes. Indy, la blonde et le jeune Chinois devront sauter de l’avion en marche. Pete ne survivra pas à sa journée de travail. Les héros de Jurassic Park plongent dans l’enfer.
Par contraste, quand les héros de Spielberg vivent un moment heureux, ils boivent tout sauf du champagne. À bord de son premier avion de la PanAm, dans Attrappe-moi si tu peux, Leonardo DiCaprio demande à l’hôtesse… un verre de lait ; le champagne est réservé au moment où il apprend que sa mère a quitté son père. Indiana Jones, enfin capable d’avoir une conversation d’adultes avec son père (Sean Connery, dans La Dernière croisade), sirote un whisky.
Mais il y a bien plus remarquable encore, et bien plus étrange.
Toutes ces coupes de champagne, et à vrai dire, toutes les coupes de champagne que nous avons dénombrées dans l’intégralité de la filmographie de Spielberg, entraînent nos héros vers une action unique : prendre l’avion.
Leonardo DiCaprio quittera son père pour remonter dans les avions de la PanAm. Les paléontologues de Jurassic Park s’envoleront pour Isla Nublar et ses dinosaures. Pete, le pilote de canadair d’Always, se tuera en avion, ce qui poussera Deindra à devenir pilote à son tour. Au début d’Indiana Jones et la dernière croisade, un riche collectionneur trinque avec Indy, qu’il envoie à la quête du Graal : Indy s’envolera pour Venise.
Alors, chers lecteurs, jouez avec nous. La prochaine fois que vous irez voir un Spielberg, si une coupe de champagne pointe son nez, nous faisons le pari que vous verrez dans son sillage apparaître un avion. Ou un hélicoptère. Ou une soucoupe volante…
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