La Visite de la Fanfare

Certains films se racontent dans l’assiette. La Visite de la fanfare, de Eran Kolirin (2007) remise au placard les discours grandiloquents sur l’amitié entre les peuples pour laisser parler ce qui unit les hommes : leur estomac. Curieusement, dans ce film dont le héros est une fanfare, ce n’est pas la musique qui dessine les thèmes du film, mais bien la nourriture. Étape par étape.

Premier mouvement : la soupe

Une dizaine de musiciens en uniforme azur, composant la fanfare de la police égyptienne, invités à jouer dans une grande ville israélienne, se retrouvent par erreur dans un bled paumé au milieu du désert. Ils sont à pied, ils sont fauchés, ils ne parlent pas hébreu. Malgré tout, leur chef s’apprête à reprendre la route, on ne sait pas très bien pour où, quand l’un des hommes ose une remarque : Quand est-ce qu’on mange ? En douceur, le reste de la petite troupe approuve. Ravalant sa dignité, le chef d’orchestre demande à la patronne du restaurant de leur offrir le repas. Les musiciens égyptiens mangent leur soupe sous les photos de l’armée israélienne.

Deuxième mouvement : la pastèque

Il faut se rendre à l’évidence. L’ambassade d’Égypte ne viendra pas les chercher aujourd’hui. Dina, la patronne du restaurant, prend les choses en main. Elle accueille dans son petit appartement Toufik, le chef d’orchestre, et Khaled, violoniste et dragueur. Dina leur fait du café, coupe une pastèque en quelques gestes autoritaires, avec un grand couteau. Énergie, liberté, sensualité se reflètent dans la chair rouge de la pastèque.

Troisième mouvement : le sandwich

Dina emmène Toufik en ville, dans un café. Elle se commande un sandwich : viande à la broche, frites, « salade arabe et sauce tahina, vas-y carrément avec la sauce ». On n’a guère besoin de sous-titres. Les ingrédients sont communs à toute la région, la salade est « arabe ». Et l’ensemble compose un sandwich énorme, c’est de générosité qu’il est question ici, et de territoire commun. Dina évoque avec nostalgie le temps où tous les Israéliens rentraient à la maison pour regarder le film égyptien du vendredi. « On était tous amoureux d’Omar Sharif, on était tous amoureux de l’amour. » L’ingrédient principal du sandwich, c’est l’amour.

Quatrième mouvement : le dîner

Pendant ce temps, d’autres musiciens ont trouvé refuge chez un ami de Dina. C’est l’anniversaire de sa femme, Iris. Qui n’est pas du tout ravie de partager sa table avec des Arabes. Il y a deux camps. D’un côté, les Israéliens, qui parlent hébreu entre eux – « tu vois, finalement, ils sont corrects » – et boivent du vin. En face, les Arabes, aussi mal à l’aise que leurs hôtes, qui boivent du jus d’orange. Ils grignotent du bout des lèvres. Iris partira à la cuisine manger toute seule son gâteau d’anniversaire. Il y a des barrières que même un poulet à la semoule, un gâteau au chocolat et une chanson de Gershwin sont impuissants à lever.

Cinquième mouvement : la pêche à la ligne

Fin de soirée, Toufik et Dina sont sur un banc. Elle le fait parler de son métier, chef d’orchestre de la fanfare. Il mime, elle l’imite, ils rient. Elle : « On dirait que c’est la chose la plus importante du monde ! » Lui : « Ah non, la chose la plus importante du monde, c’est la pêche à la ligne ». Surprise, elle insiste. La pêche à la ligne, c’est rasoir. Est-ce qu’au moins il cuisine les poissons ? Non, il les remet à l’eau, les rares fois où ça mord. Mais alors ?

« Le bruit de l’eau. Les vagues. Des enfants qui jouent sur la plage, au loin. Le son du bouchon qui touche l’eau. Au bord de l’eau, on entend le monde entier comme une symphonie. »

La cuisine et la musique sont enfin réunies. Deux clefs d’une civilisation. À partir de ce point, les personnages se rapprocheront, des histoires d’amour seront possibles, l’ambassade enverra une voiture, le film pourra se conclure. Dans l’harmonie.

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