Fichtre, le bel hommage. Lost in Translation : Bill Murray, acteur américain au Japon, tourne une publicité pour le whisky japonais Suntory. Inoubliable. Aviez-vous vu que cette scène dissimule non pas un, mais deux coups de chapeau à Charlie Chaplin ?
Suntory Time
La séquence du film de Sofia Coppola fonctionne selon un principe simple. Bill Murray ne parle pas un mot de japonais. Le réalisateur de la publicité se lance dans des tirades interminables – en japonais, fatalement – qui visent à lui donner des directions de jeu. Mais la traductrice n’en restitue que quelques mots fort peu éclairants : « Tournez-vous vers la caméra », « Avec plus d’intensité… » Bill fait de son mieux, mais sent bien qu’il lui manque des éléments.
Si jamais vous vous étiez égaré sur le chemin de la salle de cinéma, vous pouvez revoir la séquence ici (sans sous-titres, mais c’est justement l’intérêt).
Die Flüten
Premier hommage, premier emprunt : la mécanique du gag. C’est une scène du Dictateur. Adenoïd Hynkel (Charlie Chaplin) dicte une lettre à sa secrétaire, en faux-allemand. Il débite tout un paragraphe, long et compliqué. La secrétaire tape sur quatre ou cinq touches de sa machine à écrire, c’est tout. Hynkel, surpris, se penche sur la machine et constate que tout y est. Il ajoute alors : « Die Flüten », et voilà la secrétaire qui tape frénétiquement trois lignes bien tassées.
Royal Crown Whisky
Deuxième hommage, et là ce n’est plus un emprunt mais du vol qualifié. Dans Un Roi à New York, Chaplin interprète le roi Shahdov. Souverain en exil à Manhattan, il se fait déposséder de sa fortune. Ce qui est bien fait pour lui, vu qu’il s’agit du trésor de son pays avec lequel il a pris la poudre d’escampette. Sans un sou pour soutenir un train de vie dispendieux, il finit par accepter de tourner une publicité.
Une publicité pour un whisky. Le whisky Royal Crown. Shahdov apparaît dans un beau fauteuil en cuir. Il se sert un verre et doit partir dans un monologue vantant les qualités du breuvage. Sauf que le whisky passe mal, Shahdov s’étrangle, il faut couper.
Bien sûr, dans les deux scènes, on retrouve le whisky, le fauteuil en cuir, le smoking, le pays étranger. Et les répétitions qui tournent nos héros en ridicule : dans Un Roi à New York, les répliques du majordome font passer le roi pour un alcoolique. Mais surtout, on retrouve le même sens. Pour Chaplin comme pour Bill Murray, cette publicité cristallise la perte de leur dignité.
L’un était acteur, l’autre souverain. Ils se retrouvent supports de promotion. Objets au service d’un objet. Ils ont perdu leur pays, leur femme, leur argent ; la publicité leur fait perdre leur âme. Devant des millions de téléspectateurs.
On peut remercier Sofia Coppola d’avoir redoré le blason du roi Shahdov…
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Tout savoir ou presque sur l’assiette de Charlot ? C’est dans À table avec Charlie Chaplin.
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Je n’avais pas vu… et quel bonheur de revoir cette séquence 🙂
Merci beaucoup, Hedwige ! C’est très gentil.
et te remercier de dégager si justement… la philosophie de ces scènes
Mais c’est moi qui te remercie de me lire ! Et en fait de philosophie… Ce sont les réalisateurs qui font le boulot. Moi, je ne fais que la paraphrase.
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