Nous sommes une bonne dizaine d’années après leur première tarte aux pommes. Harry et Sally sont amis, célibataires tous les deux, confidents l’un de l’autre. Ils dînent chez Katz’s, un grand delicatessen de New York. Sally, fidèle à sa règle du « à part », fabrique elle-même son sandwich à la dinde.

Dans la séquence précédente, Harry s’est vanté auprès de son meilleur ami d’avoir fait miauler une femme.

Sally : Qu’est-ce que tu fais de ces nanas, après ? Tu te lèves et tu t’en vas ?

Harry : Bien sûr !

Sally : Tu leur dis quoi ?

Harry : Que j’ai un rendez-vous matinal, une coupe de cheveux matinale, une partie de squash matinale…

Sally : Tu ne joues pas au squash.

Harry : Elles n’en savent rien. Elles viennent de me rencontrer.

Sally : C’est dégoûtant.

Harry : Je sais bien ! Je suis rongé de remords. (Il mord goulûment dans son sandwich.)

Sally : Je suis tellement contente qu’on ne soit jamais sortis ensemble. Je serais devenue l’une de ces nanas que tu quittes à trois heures du matin pour nettoyer tes chenets. Et tu n’as même pas de cheminée. Mais je n’en saurais rien.

Harry : Pourquoi tu t’énerves comme ça ? C’est pas contre toi !

Sally : Oh que si. Tu es un affront au genre féminin, et je suis une femme.

Harry : Écoute, je ne m’en vante peut-être pas, mais je n’entends personne se plaindre.

Sally : Évidemment ! Tu es déjà de l’autre côté de la porte.

Harry : Je crois qu’elles passent un bon moment.

Sally : Comment tu le sais ?

Harry : Comment ça, comment je le sais ? Je sais.

Sally : Parce qu’elles… (geste allusif de la main)

Harry (moqueur): Oui, parce qu’elles… (même jeu)

Sally : Et comment sais-tu qu’elles… (même jeu) pour de vrai ?

Harry (faux langage des signes assez grivois) : Tu veux dire quoi, qu’elles simulent l’orgasme ?

Sally : C’est possible.

Harry : N’importe quoi.

Sally : Eh bien… La plupart des femmes, à un moment ou à un autre, l’ont simulé.

Harry : Pas avec moi, en tout cas.

Sally : Comment tu le sais ?

Harry : Parce que je sais.

Sally : Ah. Oui. C’est vrai. J’avais oublié. Tu es un homme.

Harry : Qu’est-ce que tu sous-entends, là ?

Sally : Rien. Simplement, tous les hommes sont sûrs que ça ne leur est jamais arrivé, et la plupart des femmes, à un moment ou à un autre, ont simulé. Fais le calcul.

Harry : Tu crois que je ne ferais pas la différence ?

Sally : Non.

Harry : N’importe quoi.

Sally fait une drôle de tête. Elle émet un soupir. Puis un deuxième, assez grave, peut-être douloureux. Elle ferme les yeux, sa respiration devient plus forte.

Harry (inquiet): Ça va ?

Nouveaux soupirs.  Plus forts, montant dans les aigus. Un sourire rêveur passe sur ses lèvres.

Harry vient de comprendre.

Aux tables alentour, les conversations s’arrêtent. Tout le monde regarde Sally.

Les yeux fermés, elle est loin. Ses doigts glissent dans ses cheveux, descendent le long de son cou. Ses halètements résonnent dans le restaurant.

Les clients se sont arrêtés de manger, les serveurs de servir.

Harry s’évertue à être ailleurs.

Dans un émouvant crescendo,  assénant de grandes claques sur la table, Sally trouve le bonheur et le fait savoir.

Un instant plus tard, elle ouvre les yeux et plante sa fourchette dans la macédoine de légumes, avec un regard innocent pour Harry.

Une cliente (à la serveuse, désignant Sally) : Je prendrai la même chose.