Encore un article sur Quand Harry rencontre Sally ? Oh oui ! Car il y a bien plus qu’un sandwich, fût-il jouissif, à la table de notre duo.
Un précédent article vous racontait comment Nuits blanches à Seattle bâtissait des personnages à partir de leur régime alimentaire. Grâce à Harry, Sally et Nora Ephron, nous découvrons cette semaine comment construire une comédie romantique avec un couteau et une fourchette.
Commençons par quelques rudiments d’architecture. En France, la plupart du temps, une histoire se compose de trois actes. Acte 1 : tout va bien. Acte 2 : rien ne va plus. Acte 3 : tout s’arrange.
Les Anglo-Saxons, quant à eux, découpent plus volontiers leurs histoires en quatre pans. Acte 1 : Quel est le problème. Acte 2 : Le problème devient cuisant ; on fait de son mieux pour s’en débarrasser. Acte 3 : Le problème, furieux d’avoir été chassé par la porte, rentre par la fenêtre et vous mord l’arrière-train. Acte 4 : Résolution du problème et rédemption des personnages.
Cette structure, vous la reconnaissez. C’est celle des épisodes de séries télévisées. Ce qui est rigolo dans Quand Harry…, c’est que chaque acte s’échafaude autour d’une assiette.
Acte 1 : La tarte aux pommes du diner
Harry et Sally se recontrent à l’occasion d’un covoiturage vers New York. Ils se chamaillent, ils se portent sur les nerfs, et très vite émerge LE problème central du film : un homme et une femme peuvent-ils être amis ? Harry, tombeur pragmatique, n’y croit pas. Sally, idéaliste et romantique, pense le contraire. Ils se garent et continuent la discussion dans un diner, une cafétéria en bord de route.
Tandis que Harry choisit sur la carte « un numéro 3 », Sally passe une commande de tarte aux pommes aussi simple qu’un traité de paix israélo-palestinien. Harry n’en croit pas ses oreilles. Cet homme-ci peut-il être ami avec cette femme-là ? Le problème du film vient de s’incarner dans la tarte aux pommes.
Acte 2 : Le sandwich du deli
Les années passent. Leurs rapports s’apaisent. Ils sont amis, ils se confient leurs histoires de cœur. On croit possible l’amitié homme-femme.
Sauf que les histoires de cœur de Harry sollicitent essentiellement un autre organe, situé plus au sud. Exaspérée par son machisme, Sally, dans la grande scène du sandwich, lui rabat son caquet.
N’empêche, ces deux-là sont amis, sans quoi Harry lui aurait envoyé un verre d’eau à la tête.
Alors, plus de problème ?
Acte 3 : Le rien du tout du grand restaurant
C’était fatal : ces deux andouilles ont couché ensemble. L’énormité de la situation les paralyse, la spontanéité qui faisait tout le sel de leur relation s’évapore. Ils tentent de se comporter comme des amoureux normaux. C’est la catastrophe.
Au lieu de retourner dans les établissements populaires et chaleureux qu’ils préfèrent, ils se croient obligés d’aller dîner dans une adresse huppée. Nappes damassées, cristal et argenterie. La conversation hésite entre silence de mort et faux-semblants.
Pendant presque toute la scène, les assiettes sont vides. Survient un serveur stylé, qui apporte deux salades vertes. On ne donne pas cher de leur couple.
Ils ne sont pas amoureux, ils ne sont plus amis. Ont-ils tout perdu ?
Acte 4 : Le gâteau du mariage
Ils se sont retrouvés, ils se sont embrassés, ils se sont mariés. Après un happy end de contes de fées, le quatrième acte nous gratifie d’un épilogue hilarant. Voyez plutôt.
Tout le film durant, des interludes « documentaires » nous ont présenté des couples âgés qui évoquent, avec piquant et tendresse, leur histoire d’amour. Toujours dans la même mise en scène minimaliste, assis côte à côte sur un canapé. Quand le film s’achève, sur le canapé, ce sont Harry et Sally qui racontent leur mariage.
Les invités ? Le discours du prêtre ? La robe de la mariée ? Pas du tout. Il n’est question que du gâteau.
À la noix de coco. Avec de la sauce au chocolat. À part, la sauce, bien entendu.
Sauf que cette fois-ci, ce n’est pas Sally qui insiste sur la sauce à part. C’est Harry.
Finis, les yeux au ciel, les sourires de commisération avec le garçon de café. Harry s’est converti au culte du « à part ». Apaisé, il a baissé les armes dans la guerre des sexes.
Puisque le quatrième acte apporte la rédemption aux personnages, nous constaterons avec un rien de malice que pour Sally, de rédemption point n’est besoin. En revanche, Harry restera dans l’histoire du cinéma comme l’un des très rares personnages à trouver la rédeption dans la sauce au chocolat.
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Quand Harry rencontre Sally (When Harry Met Sally), réalisation de Rob Reiner, scénario de Nora Ephron, 1989.
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Encore un peu ?
Saga Nora Ephron 1 : Nuits blanches à Seattle
Saga Nora Ephron 2 : Julie & Julia
Le texte de la scène du sandwich
Vingt ans après : le pastiche signé Billy Crystal
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Retrouvez les recettes et les dialogues de la Tarte aux pommes à la mode, du Sandwich à la dinde (à monter soi-même) et du Gâteau de mariage dans À table avec les Amoureux.
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