Mes films préférés : Ron Deutsch, « Chef du Cinéma »

CinéMiam inaugure aujourd’hui une série d’entretiens exclusifs. À des personnalités du cinéma, des chefs, des cinéphiles gastronomes, nous avons posé une seule question : quels sont vos films gourmands préférés ? 

Ron Deutsch

Notre première victime se nomme Ron Deutsch. Il anime depuis deux ans les cours de cuisine  « Chef du Cinéma » où les apprentis cuisiniers planchent sur un menu inspiré d’un film. En ce moment, par exemple, si l’on réside du côté d’Austin (Texas), on peut s’inscrire pour un menu roumain tiré de Frankenstein Junior

Scénariste, script doctor pour de grands noms dont James Cameron, Ron Deutsch débuta sa carrière comme ingénieur du son pour des groupes de rock, Grateful Dead ou Dead Kennedys. On retrouve son travail de cuisinier cinéphage, très précis sous des atours légers, sur le site http://www.chefducinema.com .

Ron Deutsch : Je vis à Austin, mais j’ai grandi à New York. Les trois premiers films de ma liste me renvoient à ma jeunesse. Dans l’ensemble, j’ai choisi pour CinéMiam des films que je n’ai pas forcément traités sur mon site, mais que j’adore et qui me donnent faim.

Paul Sorvino dans « Les Affranchis ».

Les Affranchis (Goodfellas, de Martin Scorsese, 1990).
Impossible de regarder ce film sans manger. Entre la scène de la prison où on cisèle l’ail avec une lame de rasoir et la séquence où Ray Liotta prépare la sauce des pâtes, il me faut un saladier de saucisses aux poivrons et des pâtes, avec des toasts à l’ail. Mais ce que je préfère, c’est l’ail à la lame de rasoir – un pur chef d’oeuvre.

« Broadway Danny Rose » : le Carnegie Deli.

Broadway Danny Rose (de Woody Allen, 1984).
Les séquences au Carnegie Deli (l’un des plus anciens delicatessen de New York, NDLR).  De nos jours, le delicatessen est en passe de s’éteindre, ou de devenir une attraction touristique. Mais dans ma jeunesse, on allait au deli à peu près une semaine sur deux. Ma mère me reprochait toujours d’avoir les yeux plus gros que le ventre. Mais même si je finissais souvent avec une indigestion, il n’était pas question pour moi de ne pas finir mon sandwich géant. Mon sandwich préféré, à l’époque : dinde, foies de volaille hachés et tomate, sur du pain aux graines de seigle. De nos jours, je suis plutôt corned beef , sur le même pain. Quand j’étais à Hollywood, on finissait souvent la soirée au Cantor’s Deli. Beaucoup de mes amis étaient des artistes de cabaret, alors on était vraiment dans l’atmosphère du film.

« My Favorite Year »

Où est passée mon idole ? (My Favorite Year, de Richard Benjamin, 1982).
Le dernier de mes films new-yorkais. Quand Benji (Mark Linn-Baker) propose à Katherine (Jessica Harper) des plats chinois à emporter, il lui dit : « Katherine, les Juifs savent deux choses. Comment souffrir, et où trouver les meilleurs restaurants chinois. » N’importe quel Juif américain vous le dira : nous sommes de grands connaisseurs de cuisine chinoise. Mais le film recèle aussi l’un des tête-à-tête les plus romantiques que j’aie jamais vus. Une autre superbe scène gastronomique, c’est quand Benji emmène Alan Swan (Peter O’Toole) dîner dans sa famille à Brooklyn. Sa famille bruyante et légèrement cinglée me donne l’impression de me retrouver, enfant, chez mes grand-parents.

« Tampopo »

Tampopo (de Juzo Itami, 1985).
Quand je mets ma casquette de « Chef du Cinéma », je respecte une règle : ne jamais aborder les films dont le sujet est la cuisine. C’est trop évident. Mais si j’en traitais un, ce serait celui-là. À sa sortie en Amérique, on le présenta comme un « western-nouilles japonaises », un jeu sur les western-spaghetti. On y apprend qu’il ne faut pas dévorer un bol de ramen (soupe aux nouilles, NDLR). Il faut l’observer, le contempler, et enfin le goûter. De même, je cherche en vain une séquence gastronomique plus sensuelle que celle où l’homme en blanc déguste une huître fraîchement pêchée dans les mains de la jeune fille, sur la plage. Le sang qui coule de sa lèvre coupée, qui se mélange à l’eau de mer, et que la jeune fille finit par lécher. Pourtant, je n’aime pas les huîtres, mais je veux les siennes.

« Le Violent » : Bogart et le pamplemousse

Le Violent (In a Lonely Place, de Nicholas Ray, 1950).
Quand on me demande quelle est selon moi la plus belle actrice, la plus sensuelle, je n’ai qu’une réponse : Gloria Grahame. Elle me transporte. Dans une scène, Humphrey Bogart lui prépare le petit déjeuner. Il est scénariste, elle vient de lire l’un de ses scénarios. Elle lui dit avoir particulièrement apprécié la scène d’amour. « C’est parce qu’ils ne se disent pas tout le temps à quel point ils sont amoureux, explique-t-il. Une bonne scène d’amour devrait parler d’autre chose que d’amour. Par exemple, celle-ci. Moi qui te prépare un pamplemousse et toi à moitié endormie. » L’amour et le pamplemousse. On ne fait pas mieux.

Une version théâtrale de « Christmas Story »

Christmas Story (A Christmas Story, de Bob Clark, 1983).
Ce film a pour moi une grande puissance nostalgique. J’ai grandi en écoutant Jean Shepherd à la radio, dans les années 1940. (Jean Shepherd, le Pierre Bellemarre américain, est l’auteur du scénario du film, NDLR). J’aime la scène finale : le dîner de Noël ayant tourné au désastre, la famille part au restaurant chinois manger de la « dinde chinoise », autrement dit du canard laqué. Tandis qu’ils attaquent leurs assiettes, les serveurs entonnent des chants de Noël. Ça parle de l’amour sincère qui unit les membres de cette famille, même s’ils ont de temps en temps du mal à se supporter. On connaît de nombreux films qui montrent une famille retrouvant son unité autour d’un repas, mais celle-ci me touche particulièrement.

Lee Van Cleef dans « Le Bon, la brute et le truand »

Le Bon, la brute et le truand (The Good, the Bad and the Ugly, de Sergio Leone, 1966).
Au début, Lee Van Cleef doit tirer les vers du nez d’un type et le descendre. Il arrive pile au moment où la femme du type sert le dîner. L’homme voit Van Cleef à la porte et sait qu’il est fini. Son fils commence à dîner, ignorant ce qui se passe autour de lui, mais sa mère l’entraîne hors de la pièce. Van Cleef s’assied et les deux hommes mangent ce qui ressemble à du pozole (un ragoût mexicain de maïs et de viande, NDLR). Dans le plus pur style de Sergio Leone, ils ne se disent rien, mais s’observent du coin de l’oeil. L’homme tente de dégainer, mais Van Cleef est plus rapide. La scène est géniale, elle me donne envie de préparer un bol de pozole et de m’asseoir avec eux. Mais je n’ai pas d’arme, alors je mange seul à la maison, c’est plus sûr.

* * *

Retrouvez les recettes et les analyses de Ron Deutsch, en anglais, sur son site Chef du Cinéma.

2 réponses à “Mes films préférés : Ron Deutsch, « Chef du Cinéma »

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