« Qu’est-ce que vous avez mis dedans ? » Voilà une bonne question. Vu l’état dans lequel l’Agua de Valencia plonge les passagers de la classe business, dans Les Amants passagers (Los Amantes Pasajeros, 2013) de Pedro Almodovar, nous aussi, on veut bien la recette.
Orgie volante
Le Boeing de la Peninsula tourne en rond au-dessus de Tolède. Train d’atterrissage bloqué. Aucune piste disponible pour un atterrissage d’urgence.
Pour avoir la paix, l’équipage a drogué l’intégralité de la classe économique, qui dort profondément. Seuls en piste : les trois stewards, le pilote, son co-pilote, et une dizaine de passagers business.
Les stewards se calment d’abord les nerfs à coups de whisky-paf. Soit un « chupito » (shot) de whisky-soda tapé d’un coup contre le comptoir. Puis ils dégainent la tequila. Tout cela ne réussit qu’à exacerber les tensions et à les rendre malades.
L’heure est aux grands moyens. L’équipage prépare alors un cocktail géant. Servie en cabine comme dans le cockpit, l’Agua de Valencia (« l’eau de Valence ») est sifflée à toute allure.
Le résultat ne se fait pas attendre. Les couples se forment, les corps s’entremêlent. On se demande un peu comment cet avion continue à voler : secousses frénétiques, pilote en pleine action, co-pilote à la découverte de sa bisexualité. Pour le dire poliment, nous assistons à une orgie.
Ne demandant qu’à contribuer au bien-être de ses lecteurs, CinéMiam s’est procuré la recette de l’aphrodisiaque. Dans le mouvement, nous nous sommes penchés sur les origines du cocktail, qui recèle une clef de lecture du film.
Valencia, Madrid, Bilbao…
Nous sommes dans les années 60. La Cerveceria Madrid, à Valencia, sert de quartier général à un groupe d’habitués basques. Ils ont pour habitude de commander de la cava, un mousseux espagnol, qu’ils surnomment « agua de Bilbao ».
Lassé de leur servir toujours la même chose, le barman leur propose une variation à base de cava. Mousseux, jus d’orange, gin et vodka. La boisson prend le nom d’ « Agua de Valencia ».
Une décennie plus tard, l’Espagne est en pleine movida. Un certain Almodovar fait sensation avec les scènes franchement olé-olé de ses premiers films.
L’agua de Valencia remonte la côte et atterrit dans les carafes à la mode, de Barcelone à Madrid. Elle symbolise cette période de libération créatrice, tant sur le plan artistique que dans les moeurs privées.

Agua de Valencia et oranges valenciennes. Photo prise à la Cerveceria Madrid en 1989 par Manolo Gil, le fils du créateur du cocktail.
Le choix de l’agua de Valencia comme aphrodisiaque des Amants passagers ne doit rien au hasard. Le cocktail évoque une période débridée où l’Espagne se construit une nouvelle identité après la mort de Franco (1975).
Une époque où l’on investit le roi, pas encore sali par les récents scandales, d’une image de probité internationale. Une époque où tout le monde est artiste. Même Constante Gil, barman de la Cerveceria Madrid, créateur de l’agua de Valencia. Il quittera le zinc pour les pinceaux et fixera sur la toile les riches heures de la nightlife valencienne.
Le drink permet aussi à Almodovar d’alimenter le symbolisme de sa fable. De Valencia à Barcelone en passant par Madrid et Bilbao, l’agua de Valencia propose un condensé de géographie ibérique. Dans le film, il sera également question de Tolède, de La Mancha, de Marbella. Tout ça dans un avion de la compagnie « Peninsula ». Aucun doute, cet avion, c’est toute l’Espagne prise dans les turbulences de la crise.
Recette de saison
La recette de l’agua de Valencia a été fixée par son créateur, Constante Gil. C’est lui qui fournit les conseils ci-dessous. Dans le film, l’équipage ajoute au mix quelques gélules de mescaline, à l’apport gustatif discutable.
Pour 1 litre de boisson
- 70 cl de jus d’orange frais
- 20 cl de cava ou champagne
- 5 cl de gin
- 5 cl de vodka
- Utilisez des oranges de la région de Valencia, en pleine saison.
- Préparez à l’avance. Mélangez tous les ingrédients et conservez au frais. Réfrigérez jusqu’au moment de servir.
- Servez à la cuiller sans mélanger.
- N’ajoutez ni sucre, ni cointreau, ni liqueurs d’orange telles que le curaçao.
Consommez avec modération en attendant l’été. Comme on dit en Espagne, Salud ! I força…
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