Chantons, c’est l’été ! En ce doux mois d’août, CinéMiam vous offre quelques numéros de comédies musicales à croquer.
Londres, début du XIXe s. Un sombre personnage, animé de pensées plus sombres encore, s’en va par les sombres ruelles du quartier de Fleet Street.
Il se fait appeler Sweeney Todd. Il rentre de quinze ans de bagne en Australie. On lui a tué sa femme, volé sa fille, avant de l’exiler pour un crime qu’il n’a pas commis.
Il revient, et il n’est pas content.
Tourte aux cafards, tourte aux chats…
Todd (Johnny Depp) rumine sa vengeance. Mais il a faim. Il pousse la porte d’une boutique spécialisée dans les tourtes. Mrs. Lovett, la patronne, lui prépare à dîner.
Notre chanson d’aujourd’hui s’intitule « Worst Pies in London« , les pires tourtes de Londres. Ce sont celles de Mrs. Lovett, qui comptent dans leur préparation plus de cafards que de bonne viande.
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Pas facile en effet, pour une femme seule aux moyens limités, de trouver de la viande à cette époque. Mrs. Lovett évoque sa concurrente, Mrs. Mooney : depuis quelque temps, les chats de son quartier ont tendance à disparaître…
Todd écoute d’une oreille distraite. Pourtant, à ce moment précis, sa vie prend un tournant. Mrs. Lovett est en train de lui fournir le moyen idéal pour faire disparaître ses ennemis en toute discrétion.
… Tourte à l’homme…
Ce moyen, vous le devinez déjà. Todd ouvre son échoppe de barbier au-dessus de la boutique de Mrs. Lovett. Il tranche la gorge de ses victimes au premier étage.
Un plan incliné entraîne les dépouilles encore fumantes au sous-sol.
Où se trouve le four de Mrs. Lovett.
Qui dispose enfin de viande à volonté pour garnir ses tourtes.
C’est probablement la première apparition du cannibalisme dans une comédie musicale. Délirant ? Pas totalement.
L’Angleterre connaît depuis le Moyen-Âge une succession de famines. Pour arranger ça, entre 1832 et 1834, les libéraux au pouvoir suppriment toutes les aides de l’Etat aux plus défavorisés.
Mieux, ils rendent illégale toute forme d’aide privée. Y compris les soupes populaires.

« Les rivaux ». Paysan britannique : 2,20 £. Cochon britannique : 3,30 £. Illustration non datée, Grande–Bretagne.
Un bonheur ne venant jamais seul, dix ans plus tard, la maladie de la pomme de terre frappe l’Irlande. La famine est atroce ; le Times de l’époque recense au moins un cas rapporté de cannibalisme.
Sur ces bases, le livret de la comédie musicale Sweeney Todd ajoute des éléments d’intrigue empruntés à trois sources. Jack l’Éventreur, pour Londres et le maniement des armes blanches. Les Misérables, pour le contexte, bin, misérable et le retour du bagne. Et Le Comte de Monte-Cristo, pour la trahison inique et la vengeance dévastatrice.
Le seul apport original, tout bien pesé, ce sont les tourtes…
Et pendant que Mrs. Lovett fait la cuisine, le spectateur contemple chapeau bas un sacré numéro d’actrice.
… Et tour de force
Avouons-le, à CinéMiam, on n’a pas une passion enfiévrée pour Helena Bonham Carter. Mais ce qu’elle réussit là… Justesse du jeu et rythme précis, chant irréprochable et gestes pâtissiers naturels, tout ça en même temps, forcent l’admiration. Car c’est elle qui chante, comme tous les acteurs du film.
C’est tout Sweeney Todd qui tient du tour de force. Avec la comédie musicale de Stephen Sondheim, colossal succès de 1979, Tim Burton trouve un terreau fertile où planter son grand guignol, pour une fois parfaitement en équilibre entre drôlerie et macabre.
En fait, Sweeney Todd réussit, et avec brio, là où Charlie et la chocolaterie avait laissé bien des spectateurs sur leur faim.
Sweeney et la Chocolaterie
Quand Charlie installait entre les personnages du film et le spectateur une distance narquoise, qui fait certes partie du roman mais n’en déroute pas moins ceux qui attendaient une comédie cupcake, Sweeney déborde d’affection pour ses héros, ses seconds rôles, même ses méchants.
Là où Charlie devait ralentir pour cause de numéros musicaux longuets, le très fin travail d’adaptation sur la partition de Sweeney apporte au film une dynamique de plus.
Enfin, reste la question de la nourriture, et de comment elle est montrée. Dans Charlie, on s’émerveille devant les plus fantastiques confiseries jamais rêvées par un cerveau humain. Et on bascule dans l’épouvante quand les jeunes héros s’approchent un peu trop près du processus de fabrication.
Dans Sweeney, on découvre les plus ignobles pâtisseries jamais cauchemardées par un cerveau humain. Et l’épouvante du spectateur tourne au sourire devant le succès ravageur du restaurant de Mrs. Lovett.
Mais la comparaison révèle aussi une constante chez Tim Burton. Les personnages qui font la cuisine tirent les ficelles de l’action et manipulent ceux qui mangent. C’est vrai chez Edward aux mains d’argent, chez Alice… Et quand ceux qui mangent émergent de leur douce inconscience pour aller soulever le couvercle des casseroles, lesdites casseroles leur explosent au nez.

Thé chez le chapelier fou. Cliquez pour agrandir. Si. Alice au pays des merveilles, 2010. (c) Walt Disney
Autrement dit, Tim Burton côté cuisine fait drôlement penser à Barbe-Bleue. Des héros bienveillants d’apparence mais à la cruauté insouciante. Des huis quasiment clos (la chocolaterie, l’immeuble londonien). Des secrets que l’on paye de sa vie. Des innocents pris au piège – mais sont-ils si innocents ?
Sweeney Todd compte à notre avis parmi les très grands Tim Burton. Au cas où vous auriez manqué le film, un bonheur vous attend. Soit en DVD, soit en BluRay, à votre guise.
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Sweeney Todd, the Demon Barber of Fleet Street, réalisé par Tim Burton (2007). Scénario de John Logan d’après la comédie musicale éponyme de Stephen Sondheim (chansons et partition) et Hugh Wheeler (livret), elle-même adaptée de la pièce de Christopher Bond.
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La semaine prochaine
Peau d’âne, un amour de cake
Encore un peu de comédies musicales ?
Épisode 1 : Chitty Chitty Bang Bang
Épisode 2 : Antique, l’omelette norvégienne du cinéma coréen
Épisode 4 : Peau d’Âne, un amour de cake
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J’ai tente les tourtes non cannibales, c’est pas mal aussi…http://thetalkingbelly.wordpress.com/2013/07/16/sweeney-todd-inspireds-meat-pies-tourtes-a-la-viande-non-cannibales/
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