Chantons sous la table – 4/ Peau d’âne, un amour de cake

 

Robe soleil 1

Catherine Deneuve est Peau d’Âne de Jacques Demy (1970). (c) Ciné Tamaris

Chantons, c’est l’été ! En ce doux mois d’août, CinéMiam vous offre quelques numéros de comédies musicales à croquer. 

Dans le cake d’amour de Peau d’Âne, il y a deux Catherine Deneuve, un poussin, une bague, un rabbin et trois rois mages. Recette.

Loin du château bleu

La situation mérite attention.

Le roi n’en démord pas : il veut épouser sa fille pour remplacer sa défunte épouse. La princesse prend la fuite. Non sans avoir obtenu de son père trois robes merveilleuses et la peau de l’âne qui donnait des louis d’or.

La jeune fille doit se construire une vie hors du château familial. Sous l’anonymat de sa peau d’âne, elle s’installe dans une cabane au fond des bois. Le prince de céans l’aperçoit et en tombe amoureux. Il ordonne qu’elle lui prépare un gâteau.

Chef d’oeuvre, classique, monument, culte, icône et tout ça.

Recette pour un cake d’amour

Nous ne vous donnerons pas « la » recette du cake. Si vous suivez la chanson à la lettre (les paroles sont ici) , le résultat tiendra le milieu entre le quatre-quarts et la génoise. Vous ne tomberez aucun prince charmant avec un caillou pareil, à moins de l’assommer avec.

Page grimoire sans main

(c) Ciné Tamaris

En conséquence, vous trouverez sur Internet pas mal de recettes baptisées « cake d’amour ». Elles n’ont que peu à voir avec le film, mais proposent au moins des gâteaux tendres et goûteux.

Nous, nous allons regarder d’un peu plus près cette séquence. Il n’y a pas que les gâteaux, dans la vie…

Rêves secrets d’une princesse

Le coup de génie de ce numéro, c’est le dédoublement de l’héroïne. D’un côté, la peau d’âne lit la recette. De l’autre, la robe couleur de soleil prépare le gâteau.  Ce dédoublement nous raconte bien des choses.

Duo

(c) Ciné Tamaris

Il met d’abord en valeur les deux visages de Peau d’Âne aux yeux du monde. Dans sa robe dorée, cette princesse a presque tout d’une fée. Coffre magique, robe volante, miroir enchanté. En plus, elle est fine pâtissière. Il ne lui manque que l’attribut suprême de la fée, la baguette magique.

Mais dans sa peau d’âne, elle a presque tout d’une sorcière. C’est ainsi que la voient les villageois dans le fief du prince rouge. Laide, crasseuse, dégoûtante, « elle empeste d’ici »… Sa cabane isolée dans les bois, son grimoire, le sort qu’elle semble avoir jeté au prince ne font rien pour rassurer le populaire.

Sorcière ?

(c) Ciné Tamaris

C’est une jolie figure du passage de l’enfance à l’adolescence. L’enfance dorée, dans le château où elle est la plus belle, protégée par son père, guidée par sa marraine, chantant l’amour à son perroquet. L’adolescence ingrate, fille de personne, son corps qui fait peur, rejetée par la société.

La scène ne se contente pas de montrer les deux facettes de l’héroïne. Elle les unit et montre leur bonne intelligence, grâce au gâteau.

Si l’on regarde mieux, dans la première moitié de la scène, les rôles sont inversés. La princesse accomplit les tâches domestiques, tandis que la souillon lit un livre. Les éléments sont en équilibre, l’alchimie peut avoir lieu.

Amour, amour

Seul l’amour pourra opérer la fusion entre enfance et adolescence, entre sorcière et fée, et donner naissance à une femme.

À ce titre, l’image du poussin qui sort de l’oeuf tombe à pic. Le poussin, c’est cette nouvelle femme qui naîtra de l’amour provoqué par le gâteau. Regardez : la caméra, qui était en plan général depuis le début, se met soudain à faire des gros plans sur les oeufs puis sur le volatile.

Poussin

(c) Ciné Tamaris

À partir de ce moment, les deux femmes retrouvent leurs rôles respectifs. Peau d’Âne, à l’apparition du poussin, entreprend de balayer le sol, sécher la vaisselle, faire le lit. Elle reprend sa place de souillon. Ou de femme d’intérieur. Bonne à marier.

En face, la princesse, redevenue magicienne, introduit un sortilège dans le gâteau.

Ce n’est pas seulement le gâteau qui est enchanté. Les étapes de sa confection sont elles aussi prodigieuses. L’oeuvre alchimique aboutit à l’harmonie des contraires, au « connais-toi toi-même » de l’héroïne. Elle peut à présent, en paix avec son passé, vivre une histoire d’amour.

Peau d'âne fait le lit

(c) Ciné Tamaris

Mais ce n’est pas tout. Tandis que la jeune fille se change en femme, une seconde métamorphose est en train de s’opérer.

Lisons de plus près le texte de la chanson.

Il était une fois

La chanson commence comme toute bonne recette. Ingrédients, proportions, ustensiles. Mais peu à peu, des figures de style s’emparent des instructions. Ainsi :

Une main de beurre fin
Un souffle de levain
Une larme de miel
Et un soupçon de sel

Main, souffle, larme, soupçon. Des mots qui s’appliquent d’habitude aux humains. Mieux : des mots qui s’appliquent d’habitude à l’amour. Oui, le soupçon aussi…

Ce gâteau prend, entre les doigts de la princesse, forme humaine. On le croyait philtre d’amour, le voici qui devient l’Amour incarné. Une créature à la magie puissante. Un Golem galant, animé d’une idée fixe : l’union des deux amoureux. Capable de mettre le royaume sens dessus dessous pour arriver à ses fins.

Ce Golem, il faut maintenant le nourrir. Non pas, comme dans le mythe hébraïque, d’écritures saintes. Mais du plus sublime des messages d’amour.

Bague dans gâteau

(c) Ciné Tamaris

La bague glissée dans le gâteau fonctionne comme la fève de la galette des Rois. Elle désigne le roi : le prince rouge, ayant trouvé l’amour, va sortir de l’enfance, succéder à ses parents, régner. Et elle lui permet de rencontrer sa reine.

Ils auront, bien sûr, des tas d’enfants.
Ils vivront ensemble un conte de fées charmant.

Demy trône chat

Jacques Demy sur le trône du roi bleu. Photo présentée lors de l’exposition Jacques Demy à la Cinémathèque en 2013. (c) Ciné Tamaris

*

Peau d’Âne, réalisé par Jacques Demy, 1970. Scénario et paroles des chansons : Jacques Demy, d’après Charles Perrault. Musique : Michel Legrand. Procurez-vous le DVD, d’après la copie restaurée en 2003, ici par exemple.

*

L’auteur tient à remercier sa maman, et toutes les mamans qui ont cuisiné le cake d’amour pour leurs filles. Des vocations sont nées pour moins que ça.

* * *

Encore un peu de comédies musicales ?

Épisode 1 : Chitty Chitty Bang Bang

Épisode 2 : Antique, l’omelette norvégienne du cinéma coréen

Épisode 3 : Sweeney Todd, les pires tourtes de Londres

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4 réponses à “Chantons sous la table – 4/ Peau d’âne, un amour de cake

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