L’histoire du film : Hortense, cuisinière en Périgord, est appelée à l’Élysée pour diriger la cuisine privée du président de la République. Elle mitonne des plats de terroir pour un convive invisible. Mais à l’autre bout du couloir, dans la cuisine centrale, on déteste qu’elle soit une femme, qu’elle vienne d’ailleurs, qu’elle porte un tablier noir. La guerre est déclarée…
CinéMiam : Christian Vincent, qu’est-ce qui vous a attiré dans cette histoire ?
Christian Vincent : Au tout début, il y avait ce livre [Carnets de cuisine, du Périgord à l’Élysée, de Danièle Mazet-Delpeuch, Éditions N°1, épuisé]. Mon producteur, Etienne Comar, avait pris un ensemble de notes tirées du bouquin. Il s’était dit qu’il y avait un film possible. Mais moi, quand il me racontait l’histoire, ce qui m’intéressait, c’était le fait qu’elle soit allée en Antarctique.
Tout de suite, j’ai eu l’idée d’un film construit sur les deux époques. Parce que raconter simplement l’histoire de cette femme et des deux années qu’elle a passées à l’Élysée, ça ne me suffisait pas. J’avais besoin de nourrir mon projet de cinéma.
Auparavant, je n’avais jamais cherché à faire de film qui mette en scène une cuisinière, un cuisinier, qui se passe dans ce milieu-là.
CinéMiam : Pourtant, je crois que vous cuisinez. Qu’aimez-vous cuisiner ?
C.V. : Hier, j’ai fait un pâté de pommes de terre, par exemple. Avec une salade verte, un truc très simple. Et des pêches que j’avais faites l’année dernière, en bocal. Des pêches de vigne. Là où ma mère habite, il y a plein de pêchers, une tuerie.
CinéMiam : Transformer des comédiens en cuisiniers professionnels, même pour quelques plans, ne doit pas être de tout repos ?
C.V. : J’ai demandé très peu de choses à Catherine [Frot], elle n’est pas du tout cuisinière. Dans une cuisine, elle n’est pas à l’aise, c’était très compliqué. Je ne lui ai demandé qu’une chose, c’est de savoir faire sauter les coques.
En revanche, Jean-Marc Roulot, qui joue le maître d’hôtel de la cuisine privée, c’est un des grands vignerons de la côte de Beaune. La comédienne qui joue la sommelière, c’est sa femme. C’est une des filles d’Hubert de Montille [à Volnay]. Elle a aussi un domaine. Les vins dont elle parle, elle les connaît, elle les a bus ! (Rires).
CinéMiam : Et l’acteur qui joue le jeune second de Catherine Frot, Arthur Dupont ?
C.V. : Je l’avais vu dans un film que je n’avais pas beaucoup aimé, Bus Palladium. Sur la liste, il y avait des garçons que je préférais, mais ma directrice de casting a insisté pour que je le rencontre.
Pour les essais, j’écris des faux entretiens. Il était dans la situation d’un jeune homme qui passe un entretien d’embauche et qui doit expliquer pourquoi il est devenu cuisinier. Mais tout est écrit, à la virgule près, dans un style très parlé, avec des phrases qui s’arrêtent au milieu.
Il explique que quand il était gamin, il a été élevé par sa grand-tante, qui tenait un café près de Beauvais. Tout petit, il a été habitué à être au milieu de la cuisine. Sa grand-tante lui avait donné un morceau de jardin, où il cultivait des légumes. Et un jour, il avait eu l’idée de faire une omelette aux courgettes. Arthur Dupont était tellement convaincant que ça ne pouvait être que lui.
CinéMiam : Du point de vue logistique, comment procédiez-vous ? Vous avez, je crois, tourné à l’école de cuisine Ferrandi, à Paris ?
C.V. : En fait nous n’avons tourné qu’une journée chez Ferrandi. Dans les sous-sols, la scène du grand couloir qui relie les deux ailes de l’Élysée. Dans la réalité, quand on devait passer de la cuisine centrale à la cuisine privée, il fallait passer par ce couloir. Et ça refroidissait. Donc c’était un peu leur hantise.
Autrement, la cuisine privée de l’Élysée, c’est à Bry-sur-Marne, en studio. On a tout reconstruit. On avait deux algeco, dans lesquels il y avait tout l’équipement d’une cuisine professionnelle. Il y avait deux magnifiques pianos [des cuisinières à gaz] qui venaient de chez Lacanche.
Les fours, en revanche, n’étaient pas praticables. À un moment, on voit l’Oreiller de la belle Aurore [une folie de pâté en croûte] qui sort du four. En fait, il vient d’être cuit dans un autre four. Les chefs étaient juste derrière les portes du studio. Le marché se faisait au jour le jour, en fonction des besoins.
CinéMiam : Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
C.V. : Quand il faut filmer la nourriture, on est là et on attend. On est un peu à la merci des cuisiniers. Des fois, ils nous préparaient les plats un peu trop tôt. Il y a un plan dont je ne suis pas très content, c’est la brouillade aux cèpes. C’était un des premiers plans de cuisine qu’on tournait dans la cuisine privée. Le plat n’est pas assez moelleux. J’aurais dû le faire.
On a commencé à tourner avec Guy Legay [ancien chef étoilé du Ritz] et on s’est aperçus que ça ne suffisait pas. Et puis j’ai pensé à Gérard Besson, et je me suis dit, c’est lui qu’il faut. Parce qu’il fait une cuisine traditionnelle, et parce que je rêvais de manger son Oreiller de la Belle Aurore.
J’avais lu un article dans Le Monde 2 et je m’étais dit, qu’est-ce que ça doit être bon ! Alors quand je l’ai rencontré, je lui ai dit : « Gérard, c’est pas dans le scénario, mais j’aimerais bien un Oreiller. » Parce que c’est beau à voir préparer, et puis quand on le sort du four, il y a les découpes, c’est un grand moment.
CinéMiam : Un grand moment qui ne doit pas être facile à filmer ?
C.V. : On avait deux Oreillers, mais il valait mieux que la première prise soit la bonne. Donc on a répété avec la doublure mains de Catherine Frot, qui était une jeune cuisinière, elle connaissait les gestes.
Et sur le tournage, c’était l’un des moments les plus forts. Il y avait une tension pas possible sur le plateau quand on a découpé l’Oreiller. On a tourné, et après, on a fait une pause d’un quart d’heure et on l’a mangé. C’était extraordinaire, Gérard Besson avait fait une sauce sublime avec les carcasses des volailles.
CinéMiam : J’ai particulièrement apprécié la mise en images de la cuisine. On est directement dans l’assiette, en plan très serré, sans effets, et c’est incroyablement appétissant.
C.V. : Il fallait que ça reste simple. Et j’insistais : tout devait se manger. Il fallait que ça soit bon, mais il fallait que ça soit beau, aussi. Par exemple, le chou farci au saumon : c’est le premier plat que Danièle Delpeuch a cuisiné pour le président. Moi, ça me convenait parfaitement bien parce que c’est joli à l’œil, c’est vert et rose. En plus c’est original, le chou farci d’habitude, ce n’est pas au saumon. Et puis c’est excellent, une merveille.
Avec le chou, nos cuisiniers faisaient des essais. On l’a fait braiser, mais il était trop marron. Après, on l’a fait pocher pour qu’il garde son vert.
Pour certains plans, on avait certains objectifs avec très peu de profondeur de champ [qui créent un flou en arrière-plan]. On les a surtout utilisés au moment du gâteau. On a filmé le sucré différemment du salé.
CinéMiam : Justement, ce fameux gâteau de la cuisine centrale, à l’orange amère et à la vanille, pomme de discorde entre les deux cuisines, qui l’a réalisé ?
C.V. : On s’est posé la question : on le fait faire, ou on l’achète ? Il fallait que ce soit un truc brillant, avec des petits fruits, des choses comme ça [geste alambiqué]. Finalement, on l’a demandé à nos cuisiniers. Ils ont fait ça très bien ! (Rires).
CinéMiam : On s’attendait à une cuisine assez « palais », assez prétentieuse, dans l’esprit de ce gâteau. L’un des grands bonheurs du film, c’est qu’on découvre une cuisine du terroir.
C.V. : C’était la commande du président. Quand il a fait venir Danièle Delpeuch, il voulait une cuisine de femme, une cuisine de mère. Sous-entendu, faites-moi la cuisine que me faisait ma grand-mère. Elle, elle arrive de son terroir, c’est pas une grande chef. C’est une bonne cuisinière de cuisine bourgeoise. Elle sait préparer le foie gras, les confits, une cuisine très simple et très goûteuse, mais sans plus.
CinéMiam : Le film propose une grande variété de plats, aux origines diverses. Aviez-vous la volonté de faire un tour de France de la cuisine ?
C.V. : Le déjeuner que Hortense prépare pour la famille du président, c’est le Val-de-Loire. Foie gras avec une gelée au pineau des Charentes, des « cagouilles » – des escargots – qu’on ne voit pas, et la chaudrée, un plat typique de la région.
Moi, je ne connaissais pas la chaudrée. Je me suis documenté, en allant sur Internet, sur ce que pouvaient être les cuisines rochefortaise, nantaise…
Et la chaudrée, Danièle Delpeuch l’avait fait pour le président Mitterrand : dans sa famille, on mangeait ça. Le menu se termine par des fromages, de chèvre essentiellement, toujours du Val-de-Loire, plus la jonchée [un fromage frais préparé dans un tapis de joncs], qui va poser problème : il y a de la gelée de sureau, il y a une crème d’amandes, tout d’un coup ça devient un dessert. [Ce qui empiète sur le territoire de la cuisine centrale].
Et puis dans le choix des plats, il fallait diversifier. À un moment, ils font des petites tartelettes. J’avais trouvé ça dans un livre de Robuchon, Le Meilleur et le plus simple de la France. Des petites tartelettes salées avec de la tomate et du poivron, c’est très joli, vert et rouge.
Il y a un carré d’agneau parce que c’est joli, le filet en croûte de sel, c’est pareil. Pour ça, on peut faire confiance à Gérard Besson, c’est un excellent rôtisseur. Pareil pour la poularde demi-deuil, il faut passer la main sous la peau pour glisser les truffes, c’est plus intéressant à filmer qu’un bœuf en daube.
CinéMiam : Cette cuisine régionale et bourgeoise se retrouve servie dans une vaisselle de palais : du bleu de Sèvres, de la feuille d’or…
C.V. : On avait vu les services utilisés à l’Élysée, on s’en est inspirés. On a emprunté un service de Sèvres et deux services chez Haviland. Les pièces étaient enfermées dans un caisson, bien protégées. Une assiette de Sèvres, ça coûte 2 500 Euro. Heureusement, il n’y a eu ni casse ni fauche.
CinéMiam : Une surprise : nous sommes dans un monde politique, pourtant la politique n’a pas sa place dans le film.
C.V. : Depuis le début, je ne tenais pas du tout à ce que l’aspect politique apparaisse. Pour moi, le moment qui compte, c’est celui où les garçons sur la base en Antarctique lui disent merci. Le film est construit sur l’opposition des deux milieux : d’un côté on la « remercie », c’est-à-dire qu’on la licencie, et de l’autre côté, on lui dit merci.
Et puis c’est un film sur la reconnaissance. C’est l’histoire d’une femme qui se défonce pour faire son travail du mieux qu’elle peut, elle fait à manger pour quelqu’un qu’elle ne voit pas. Faire à manger, c’est faire plaisir aux gens, c’est de la générosité. Et quand on n’a pas de retour, c’est impossible.
CinéMiam : Puisque vous parlez des séquences en Antarctique. La veille du départ d’Hortense, les chercheurs organisent pour elle un petit spectacle. On y entend la Danse macabre. C’est la même musique qui accompagne le spectacle dans La Règle du jeu de Renoir. C’était voulu ?
C.V. : Ah oui, c’est voulu ! (Rires). La Règle du jeu, c’est aussi un film sur le haut et sur le bas, comme celui-ci. Et on est beaucoup dans la cuisine. On les voit manger à table, on nous enseigne même comment faire une salade de pommes de terre. J’adore les scènes de cuisine dans La Règle du jeu. C’était un clin d’œil discret…
CinéMiam : Le président offre à Hortense un livre de cuisine ancien, signé Édouard Nignon. Pourquoi l’avoir choisi, lui, plutôt qu’un Escoffier ou un Curnonsky ?
C.V. : C’est un auteur que j’ai découvert chez Danièle Delpeuch, elle a une jolie bibliothèque. On parlait de livres de cuisine, elle me sort ce bouquin. Je vois, préface de Sacha Guitry. Et je tombe sur une langue incroyablement belle : « du pays de Pierre Corneille, faites venir un caneton des plus replets ». La recette commence comme ça.
Et toutes les recettes sont comme ça, j’avais l’embarras du choix, c’est un enchantement. Ce sont des recettes qu’on ne pourrait plus faire, des recettes d’un autre temps. Il a écrit dans les années 20, à la fin de sa vie, après avoir été cuisinier dans différentes cours d’Europe à la fin du XIXème siècle.
Le livre permettait de faire le lien avec les arts. Il y a une tradition française de présidents de la République, de présidents du Conseil, très lettrés, qui pouvaient parler de tout. Blum était critique d’art, écrivain. Pompidou était normalien. On avait un président comme on n’en aura plus, la recette est perdue.
CinéMiam : Pour l’avenir, avez-vous d’autres projets dans le domaine culinaire ?
C.V. : Non. Quoique… Avant de faire mon premier long métrage, en 1987, j’avais un projet de série documentaire sur le vin. Ça ne s’est pas fait, parce qu’à l’époque, je n’étais pas connu.
Moi, ce qui m’a toujours intéressé dans la vie, c’est de faire des portraits. C’est de rencontrer les gens. Parce que boire un verre de vin, j’adore ça, mais si je peux rencontrer les vignerons et passer quelques mois avec eux, c’est encore mieux. J’avais eu l’idée de faire une série de portraits de vignerons.
Comme je n’avais pas énormément de moyens, et mon producteur, à l’époque, non plus, on s’était limités au Bordelais. Ce qu’il y a d’intéressant dans le Bordelais, c’est qu’il y a une très grande diversité d’acteurs. J’avais rencontré plein de vignerons très différents les uns des autres. J’en avais choisi douze.
Ça allait d’un petit vieux, qui s’appelait monsieur Coin, qui avait un vin dans les Graves de Vayres rouge pas extraordinaire, mais c’était un paysan, jusqu’à l’un des Rothschild, celui qui a Lafitte. En passant par Duboscq à Saint-Estèphe, le propriétaire du Château Fleur Cardinale, celui de Cos d’Estournel. Et une femme – il n’y avait pas beaucoup de femmes dans le Bordelais, à l’époque -, celle qui possédait Château Hanteillan. J’avais à Saint-Émilion un mec très marrant qui faisait dessiner ses étiquettes par Reiser. Et un type sur Saint-Julien, au Domaine de Jaugaret. Un vieux garçon qui vivait encore chez sa mère, son chai était pourri, il y avait de la suie partout, mais il faisait un vin très intéressant. La série devait faire douze fois douze minutes. C’est pour vous dire que je m’intéresse au vin depuis très longtemps.
CinéMiam : Mais vous, vous êtes bordelais, à l’origine ?
C.V. : Pas du tout, je suis né à Paris. D’une famille franc-comtoise, alors je connais super bien le vin du Jura. Et un peu le vin de Bourgogne. Mais je m’intéresse à tout. Dans toutes les régions, il y a des choses magnifiques.
Quand j’avais 21, 22 ans, j’avais déjà la passion du vin. Pourtant, je n’avais pas d’argent, j’étais étudiant, je gagnais ma vie en travaillant l’été mais j’avais déjà une voiture. J’allais acheter du Clos des Lambrays à Morey-Saint-Denis [entre Dijon et Beaune]. Je pouvais me l’offrir, à l’époque. Et maintenant que je gagne bien ma vie, je ne peux même plus m’en acheter. Parce que c’est à plus de 100 Euro la bouteille et je ne mets pas 100 Euro dans une bouteille. Mais sur le vin, je pourrais vous parler des heures…
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Encore un peu ?
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Les recettes du film : le site Marmiton publie les recettes originales de Danièle Delpeuch.
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