Saga Hitchcock 1 : La Mort aux trousses

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Cary Grant dans « La Mort aux trousses » d’Alfred Hitchcock. (c) MGM

Hitchcock, avec Anthony Hopkins et Helen Mirren, sort sur les écrans français le 6 février 2013. À CinéMiam, nous avons été très déçus par le film. Et pas seulement parce que le grand Alfred y est… au régime ! Voilà qui crie vengeance. Nous vous proposons donc de revisiter quelques chefs d’oeuvre hitchcockiens.

Premier épisode : La Mort aux trousses (North By Northwest, 1959), et le cocktail Gibson que boit Cary Grant au wagon-restaurant.

Trois martinis, un Gibson

Publicitaire sur Madison Avenue, Roger Thornhill (Cary Grant) se rend à un rendez-vous de travail au Oak Room, le bar de l’hôtel Plaza à New York.

Ses invités sont attablés devant des cocktails martini. On reconnaît le verre conique inimitable, la couleur ambrée du vermouth mélangé au gin et la silhouette de l’olive qui flotte dans le verre. « Nous avons pris un peu d’avance« , s’excuse l’un des convives. « Ça ne va pas durer« , le rassure Thornhill, tout sourire.

NBN Businessmen martini

(c) MGM

Et par le fait, ça ne dure pas. Trente secondes plus tard, Thornhill est pris pour George Kaplan, agent secret. Une organisation criminelle se lance à ses trousses et lui fait endosser l’assassinat d’un membre de l’ONU. Pourchassé par la police, Thornhill se réfugie dans le 20th Century Limited. Le train le plus célèbre et le plus luxueux du pays, l’Orient Express américain, relie New York à Chicago.

Thornhill échappe à la vigilance des contrôleurs et aux recherches de la police grâce à l’aide inespérée d’une superbe blonde. Eve Kendall (Eva-Marie Saint) lui sauve la mise et s’arrange pour le retrouver au wagon-restaurant.

NBN essuie lunettes

(c) MGM

En apéritif, Thornhill commande un cocktail Gibson. Pendant toute la séquence, jusqu’à l’arrivée simultanée de la truite sauvage et des policiers, il va siroter son cocktail. Il tente de faire du plat à Eve mais se retrouve dépassé par les avances on ne peut plus claires de la jeune femme, qui l’invite à passer la nuit dans son compartiment.

On peut avoir une pensée émue pour monsieur Shurlock, le directeur du bureau de la censure hollywoodienne d’alors, qui a dû en avaler sa cravate.

Alfred Hitchcock, qui se faisait livrer des plateaux de chez Maxim’s par avion, ne laisse jamais au hasard les menus de ses personnages. Il s’agit donc de savoir ce qu’est un cocktail Gibson et pourquoi il tient une telle place dans la séquence du wagon-restaurant.

Le Gibson et les Gibson Girls

En apparence, le Gibson ne présente pas un intérêt foudroyant. C’est tout simplement un martini gin où l’olive est remplacée par un oignon au vinaigre.

Les historiens de la mixologie nous apprennent qu’il doit son nom à Charles Dana Gibson. Illustrateur new-yorkais, Gibson connaît une popularité sans précédent pour ses dessins de jeunes filles romantiques aux coiffures sophistiquées. La presse les baptise du nom de « Gibson Girls ».

Gibson Girls The Weaker Sex 1903

« Le sexe faible », de Charles Gibson, 1903.

La mode est lancée, elle ne connaîtra d’équivalents qu’avec la banane d’Elvis et la choucroute de BB. Même la fille du président des Etats-Unis Theodore Roosevelt, l’indomptable Alice, adopte le style Gibson Girls. La presse raffole d’Alice et de son look. La jeune femme incarne la femme libérée pour toute une génération d’Américaines.

Roosevelt,Alice

Alice Roosevelt en 1903.

L’air de rien, nous voici riches d’informations. Nous savons que le Gibson a l’apparence du martini, comme Roger Thornhill a l’apparence d’un assassin.
Nous savons que ce qui fait la différence avec un martini, c’est le petit oignon grelot, translucide et blanc. Une jolie image de l’innocence.
Nous savons enfin que tout Américain qui se respecte associera aussitôt le nom de Gibson aux femmes. Pile au moment où notre héros fait la connaissance de son héroïne.

Et déjà, en filigrane, il est question d’un président américain. Qui compte pour deux : Theodore Roosevelt était un vague cousin de Franklin Roosevelt, président après lui. Mais ce n’est pas fini. Le plus passionnant, le plus sanglant aussi, est à venir.

Le procès du siècle

Au faîte de sa popularité, Charles Gibson rencontre une jeune fille d’origine modeste, Evelyn Nesbit. Âgée d’à peine 16 ans, elle devient son modèle favori. Le dessin qui la représente avec une coiffure en point d’interrogation fait le tour du monde.

Gibson Evelyn Nesbit Women the Eternal Question 1905

Evelyn Nesbit, modèle de « Femmes, l’éternelle question » de Charles Gibson, 1905.

Grâce à sa notoriété de Gibson Girl, Evelyn fait rapidement carrière dans les comédies musicales. Elle a une aventure avec l’architecte Stanford White, auteur du splendide jardin du Madison Square Garden. White est fou d’elle. Pourtant, sur les instances de sa mère, Evelyn épouse le millionnaire Harry K. Thaw.

Mais leur union n’apaise pas la jalousie maladive de Thaw. Le 25 juin 1906, Evelyn et son époux se rendent au théâtre sur le toît du Madison Square Garden. Thaw repère dans l’assistance l’ancien amant de sa femme. Tandis que sur scène, on donne l’opérette Mamzelle Champagne, Thaw abat Stanford White de trois balles dans la tête.

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Stanford White, Evelyn Nesbit et Harry K. Thaw

Une beauté fatale, un millionnaire fou, un architecte célébrissime : c’est la recette du « procès du siècle », le premier à bénéficier de ce qualificatif. Impossible, quand on grandit à New York dans la première moitié du XXème siècle, d’ignorer cette histoire.

Impossible surtout pour Ernest Lehman, le scénariste de La Mort aux trousses, qui fut lui-même publicitaire sur Madison Avenue. D’autant qu’en 1955, quatre ans avant La Mort aux trousses, sort La Fille sur la balançoire, avec Joan Collins (Evelyn Nesbit), Ray Milland (Stanford White) et Farley Granger (Harry K. Thaw).

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Ray Milland et Joan Collins dans « La Fille sur la balançoire » de Richard Fleischer.
(c) 20th Century Fox

À travers ce scandale, le Gibson nous ramène à l’une des pages criminelles les plus célèbres de New York. Comme dans La Mort aux trousses, il y est question d’un assassinat en public (le film de Hitchcock en compte deux : l’un à l’ONU, l’autre, factice, dans la cafétéria du Mont Rushmore), de femme libérée et de beauté fatale. Et comme dans La Mort aux Trousses, l’affaire se noue sur Madison Avenue, où Roger Thornhill a son bureau, à deux pâtés de maison de l’hôtel Plaza où son destin va se jouer.

Mais, loin de s’arrêter là, l’histoire mouvementée du Gibson nous réserve encore un rebondissement spectaculaire.

Le frère de l’assassin

En 1888, Edwin Booth, l’acteur shakespearien le plus célèbre d’Amérique, fonde avec quelques amis (dont Mark Twain et le général Sherman) le Players Club. C’est le premier « club » new-yorkais : un lieu élégant où les célébrités du monde des arts peuvent se retrouver entre elles.

Spacey Booth

Kevin Spacey, membre du Players, à coté de la statue d’Edwin Booth, dans les locaux du club. (c) D.R.

Booth et ses amis jettent leur dévolu sur une bâtisse néo-grecque sur Gramercy, à quelques pas de Madison. Mais la façade manque de cachet. Pour la redessiner, ils font donc appel à l’architecte new-yorkais le plus en vogue de l’époque : un certain Stanford White.

Players entrée

La façade du Players Club, par Stanford White.

C’est au Players Club que le dessinateur Charles Gibson prend ses habitudes. Il s’installe au bar et commande un martini gin, le cocktail à la mode. Mais un soir, fatigué de boire toujours la même chose, il demande au barman de lui proposer une variation sur son drink préféré.

Ainsi naît le Gibson. Il prend ses racines au Players Club, créé par Edwin Booth. Lequel Edwin Booth n’était pas seulement le plus grand acteur américain du XIXème siècle. Il était aussi le frère d’un certain John Wilkes Booth.

Le 14 avril 1865, le président Lincoln se rend au théâtre. Pendant l’entracte, son garde du corps s’éclipse au bar. C’est alors que John Wilkes Booth surgit, un pistolet dans une main, un poignard dans l’autre. Dans un théâtre bondé, dans la loge présidentielle visible de tous, Booth assassine Lincoln d’une balle dans la tête.

Meurtre Lincoln

Edwin Booth fut mortifié de ce crime. Il déshérita son frère et interdit que l’on prononce son nom dans l’enceinte du Players. Edwin était un bon citoyen, tenu en haute estime par la Maison Blanche. Et pas seulement pour ses talents d’acteur. Quelques mois avant l’assassinat du président, Edwin avait sauvé le fils d’Abraham Lincoln d’un tragique accident. Un accident… de train.

Vertigineux, tout ce qu’Alfred Hitchcock fait tenir dans ce petit verre. Tout un quartier de New York autour de Madison Avenue. Deux théâtres, lieux des faux-semblants et des apparences trompeuses. Deux assassinats publics. Une beauté ensorcelante, une femme moderne, un scandale national, une raison d’Etat. Tous les ingrédients du film sont en place.

Avec en prime, deux présidents des Etats-Unis. Non des moindres : Lincoln et Theodore Roosevelt. Mais pourquoi ces deux-là sont-ils importants pour La Mort aux trousses ? Parce qu’aux côtés de Washington et Jefferson, ce sont eux dont le portrait géant orne les flancs du Mont Rushmore.

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Eva-Marie Saint et le président Lincoln. (c) MGM

*

La Recette : Le Gibson

  • 1 mesure de gin
  • 1 mesure de vermouth sec
  • 1 oignon au vinaigre

Givrez un verre à martini. Versez le vermouth dans le verre. Faites-le tournoyer afin qu’il nappe les parois, puis jetez-le. Ajoutez le gin. Laissez délicatement tomber un oignon grelot. Servez sans attendre.

* * *

Encore un peu de Hitchcock ?

Épisode 2 : Lifeboat

Épisode 3 : Complot de famille

Champagne, un inédit restauré

Scorsese, Hitchcock et des bulles

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6 réponses à “Saga Hitchcock 1 : La Mort aux trousses

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