Saga Billy Wilder – 1 / Du bon usage de la bouillotte

Bouillotte 2

Toutes les photos : (c) Mirisch Corp. / United Artists

« J’aimerais croire en Dieu pour le remercier. Mais je ne crois qu’en Billy Wilder. Alors, merci, Mr. Wilder. » Ainsi parla le réalisateur espagnol Fernando Trueba quand il reçut son Oscar pour Belle Époque, en 1994.

À CinéMiam, nous appartenons à la même secte que M. Trueba. Billy Wilder est pour nous une divinité taquine et néanmoins suprême, un Père Noël malicieux. Et gourmand, avec ça. L’homme idéal pour une saga de Noël.

Premier épisode avec ce joyau absolu qu’est Certains l’aiment chaud.

Nous n’avons pas trouvé l’extrait en vidéo. Oh, et puis, tous les prétextes sont bons pour vous offrir une transcription de ces fabuleux dialogues.

Shaker de fortune

La mafia à leurs trousses, Joe et Jerry se déguisent en filles. Ils rejoignent un orchestre féminin dans le train qui les conduit en Floride. Les deux musiciens sont tombés sous le charme de Sugar (Marilyn Monroe), la voluptueuse joueuse de ukulele.

Dans le train, la nuit venue, Jerry (Jack Lemmon) tente sa chance. Il est toujours déguisé en femme, Sugar ne se doute de rien. Il prétexte un léger bobo pour attirer Sugar dans sa couchette. Et il dégaine une bouteille de bourbon. Erreur fatale.

Tchin à deux

La voisine passe la tête entre les rideaux. Jerry tente de la chasser, mais…

Sugar : Dolores, tu as toujours ta bouteille de vermouth ?

Dolores : Bien sûr.

Jerry : Pour quoi faire, du vermouth ?

Sugar : On a du bourbon, on pourrait faire des manhattan !

Jerry : Des manhattan, à cette heure-ci ?

Sugar (à Dolores) : Ramène le shaker !

Jerry (fâché) : Oh, Sugar, tu vas gâcher ma surprise.

Dolores récupère sa bouteille de vermouth. Une de ses collègues se réveille.

2 musiciennes

Musicienne n°1 : Qu’est-ce qui se passe, ma puce ?

Dolores : Une fête au numéro 7.

Musicienne n°1 : Une fête ? J’apporte du fromage et des crackers.

Dolores : Je prends le shaker, trouve un tire-bouchon.

Progressivement, tout le wagon s’anime, des victuailles fleurissent de partout.

Dolores, suivie des autres jeunes femmes, envahit la couchette de Jerry et Sugar.

Jerry : C’est une fête pour deux ! Pour deux !

On lui met de force un cracker dans la bouche. Une musicienne passe une bouillotte à Sugar.

Musicienne n°2 : Voilà le shaker. Il nous faudrait des glaçons.

Bouillotte

Musicienne n°3 : Eh, doucement sur le vermouth !

Jerry : Treize filles à une fête, ça porte malheur. Vous douze, sortez d’ici !

Musicienne n°3 : Passez-moi le beurre de cacahuètes.

Musicienne n°4 (brandissant un saucisson) : Quelqu’un veut du salami ?

Dolores écarte les rideaux de la couchette de Joe, qui dort juste en-dessous.

Dolores : Tu n’aurais pas des cerises au marasquin sur toi, par hasard ?

Joe ouvre un œil.

Dolores : Laisse tomber.

Joe se rendort, puis ouvre brutalement les yeux.

Joe : Des cerises au marasquin ?!

Il pivote et se retrouve face à un rideau de jambes nues.

Détournement de bouillotte

Cette folle sarabande s’appuie sur trois mécaniques chères à Billy Wilder.
Jerry récupère la bouteille de bourbon dans la couchette de Joe.

Jerry récupère la bouteille de bourbon dans la couchette de Joe.

Le bourbon, d’abord, qui fait systématiquement capoter les plans savamment orchestrés de nos héros. Nous vous en reparlerons très vite, dans notre prochain billet.

Ensuite, Wilder utilise une technique empruntée à Charlie Chaplin : le détournement d’un ustensile à des fins tout à fait nouvelles.

Chaplin en fait l’un des ressorts principaux de son comique. Il utilise des plats à tarte comme xylophone, une casserole en guise de ukulélé. Il étale une pâte à tarte avec une machine à sécher la vaisselle. Il perce des trous dans le gruyère au moyen d’une chignole, emploie un marteau pour casser les oeufs et une râpe à fromage pour se gratter le dos.

Dans notre séquence de Certains l’aiment chaud, les ustensiles semblent conspirer pour faire monter la température jusqu’à l’insolation.

Observez ainsi ce pic à glace. En fait, c’est un crayon à papier, détourné. Jusqu’ici, rien de grave. Son rôle est de réduire la glace en miettes par le truchement de coups violents et répétés. Entre les mains de Marilyn, en déshabillé transparent avec des plumes, l’opération devient insoutenablement sexy. On entend quasiment les gémissements de plaisir du bloc de glace.

Marilyn et le pic à glace.

Marilyn et le pic à glace.

Poursuivons dans la batterie de cuisine. Jack Lemmon, dans la pagaille, échappe de peu à une collision regrettable entre son arrière-train et un tire-bouchon. Si on n’était pas en train de hululer de rire, on aurait mal pour lui. Dans n’importe quel autre film, ce serait vulgaire et pas drôle. Mais nous sommes chez Wilder, nous ne voyons que la grimace urgente de Lemmon qui pressent l’irréparable, et c’est dans notre tête que le tire-bouchon fait tout le travail.

Quant à la bouillotte, habituelle compagne de vieilles dames frileuses, elle devient shaker à cocktails pour beautés peu vêtues. La température a atteint les tropiques. Même la bouillotte a besoin de glaçons. Rien ne résiste à la puissance sexuelle d’une douzaine de ravissantes en petite tenue.

Ceinture

La troisième mécanique employée par Wilder dans la scène du wagon-lit, c’est le parallèle entre un bon repas et une opération séduction sur laquelle l’un des deux protagonistes fonde beaucoup d’espoirs. Avec un très faible pourcentage de réussite.

Liselotte Pulver dans Un, Deux, Trois (1961).

Liselotte Pulver dans Un, Deux, Trois (One, Two, Three, 1961).

La grande scène de l’hôtel Potemkine, dans Un, Deux, Trois, met en scène l’ensorcelante Ingeborg (Liselotte Pulver). Secrétaire du patron berlinois de la Coca-Cola Corp., elle en est aussi la maîtresse. Elle attend depuis deux mois qu’il s’occupe un peu d’elle. Mais ce soir-là, elle a pour mission de charmer les négociateurs russes. Ce qui nous vaut une danse torride avec brochettes enflammées, caviar et strip-tease. Ingeborg ne mangera rien, et son PDG, qui s’est, lui, gavé de caviar, retournera chez sa femme.

La Grande arnaque réunit Jack Lemmon et son ex-femme, dont il est encore épris, autour d’un dîner romantique hongrois : poulet paprikash, choucroute, boulettes aux abricots. Lemmon ne réalise pas que la blonde enfant ne partage sa table que dans l’espoir de récupérer une part du pognon escroqué à l’assurance. Elle ne touche pas à son assiette. Lemmon ne touche pas à la jeune femme.

Judy West et Jack Lemmon dans La Grande arnaque (The Fortune Cookie, 1966)

Judy West et Jack Lemmon dans La Grande arnaque (The Fortune Cookie, 1966)

La filmographie de Wilder regorge de variations sur ce thème. Il ne connaît que deux issues possibles. Quand les deux amoureux mangent, ça se finit à l’horizontale, et souvent, en grande histoire d’amour. Mais quand seul l’un des deux profite du dîner, le duo devra se serrer la ceinture.

Cerises et salami

Et c’est exactement ce qui se passe dans Certains l’aiment chaud. Jack Lemmon n’a aucune envie de goûter au buffet campagnard gratuit qui s’installe dans sa couchette. Quand les victuailles débarquent, ses espoirs s’envolent.

Les scénaristes prennent alors un malin plaisir à  jouer sur les doubles sens, pour rendre fou le personnage de Lemmon.

Un salami considérable.

Un salami considérable.

Que penser du « salami« , fort bien de sa personne au demeurant, et des « cerises au marasquin« , qui viennent chatouiller les dialogues ? Wilder s’amuse comme un gamin. Il truffe les répliques de sous-entendus gaulois.

Le but de cette avalanche de dialogues croustillants et de sex-toys du chef ? Affoler non seulement Jerry (Lemmon), mais aussi Joe (Tony Curtis) que les cerises tirent de son chaste sommeil pour le précipiter dans une orgie à roulettes.

Il s’agit d’amener ces deux lascars à leur point d’ébullition, et le spectateur avec. Pour rendre crédible la suite des opérations, aussi abracadabrante soit-elle. Rappelons en effet qu’au lieu de continuer leur petite vie de musiciens de jazz, l’un se fera passer pour un roi du pétrole sur un yacht volé, tandis que l’autre filera le grand amour avec…

Mais nous n’en dirons pas plus, au cas où vous n’auriez pas vu le film. C’est possible, après tout. Personne n’est parfait.

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Certains l’aiment chaud (Some Like It Hot, 1959), réalisé par Billy Wilder, scénario de B. Wilder et I.A.L. Diamond.

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Épisodes suivants :

2. Du bourbon et autres explosifs

3. Du champagne comme piège à souris

4. De la lumière au fond du café

5. Des dangers d’une nourriture saine et équilibrée

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