Saga Billy Wilder – 5 / Des dangers d’une nourriture saine et équilibrée

Marcel Hillaire et Audrey Hepburn dans Sabrina (1954).

Marcel Hillaire et Audrey Hepburn dans Sabrina (1954). Toutes photos (c) Mirisch Corp.

« La femme la plus intéressante que j’ai connue était une criminelle. Elle volait du cyanure dans mon labo, pour en saupoudrer la tourte au boeuf et aux rognons de son mari. »

C’est ce grand mysogyne de Sherlock Holmes qui parle, dans La vie privée de Sherlock Holmes. Et quand le détéctive de Baker Street dit quelque chose, il faut le croire. Car cette femme est diablement intéressante, en effet. C’est la seule, de toute la filmographie de Billy Wilder, qui fasse la cuisine pour son mari.

Soufflé distrait

Monsieur Wilder, nous l’avons vu dans les épisodes précédents, n’aime pas les poncifs. On ne trouvera chez lui ni repas de famille, ni dîner aux chandelles.

La Vie privée de Sherlock Holmes (1970).

La Vie privée de Sherlock Holmes (1970).

Quand Sherlock Holmes pique-nique avec la dame de ses pensées, Watson est là, et il gâche la fête. Quand le Jack Lemmon de La Garçonnière cuisine des spaghetti pour Shirley MacLaine, en utilisant sa raquette de tennis comme passoire, le beau-frère débarque. Quand Norma, star déchue de Sunset Boulevard, commande un gigantesque buffet pour l’homme qu’elle aime, personne ne mange.

Cuisine et sentiments font très mauvais ménage. Sabrina (Audrey Hepburn) arrive à Paris pour suivre des cours de cuisine. Elle rate lamentablement son soufflé. Et Dalio lui dit : « Quand une femme est heureuse en amour, elle brûle le soufflé. Quand elle est malheureuse en amour, elle oublie d’allumer le four. »

Le cours de cuisine de Sabrina.

Le cours de cuisine française de Sabrina.

Comme il fallait s’y attendre, Billy Wilder est beaucoup plus précis que ça. Un repas, chez lui, est une distraction. Au double sens du terme : il divertit, et il fait perdre le fil des pensées.

Lemmon prépare ses spaghetti pour changer les idées à Shirley après une tentative de suicide. Holmes minaude – « encore un peu de confiture de canneberges, très chère ? » – pour changer de sujet face à Watson qui n’arrête pas de râler. Le père de Sabrina l’envoie en France pour qu’elle oublie ses peines de coeur. Et ainsi de suite.

Ça marche à tous les coups, sauf dans un cas de figure précis, qui revient souvent : le type seul face à son assiette.

Jack Lemmon dans La Garçonnière (The Apartment, 1960)

Jack Lemmon dans La Garçonnière (The Apartment, 1960)

Solitude de l’oeuf au plat

Toujours dans La Garçonnière, Lemmon croque un pilon de poulet devant la télé. Toujours dans Sabrina, le père, seul devant son sandwich, voit d’un très mauvais oeil l’idylle de sa fille. Dans Sept ans de réflexion, Tom Ewell, resté seul à New York, perclus de bonnes résolutions en matière d’alimentation équilibrée, tente le restaurant végétarien.

Le toujours excellent John Williams, seul contre tous dans Sabrina.

Le toujours excellent John Williams, seul contre tous dans Sabrina.

Et dans Stalag 17, William Holden, qui pratique le troc avec les Allemands, se fait frire un oeuf tout seul, au milieu d’un baraquement qui crève de faim. Le spectateur – et avec nous William Holden, qui commença par refuser le rôle – trouve que c’est un beau salaud. C’est possible, mais ce n’est pas le propos.

Le propos, c’est qu’un homme qui mange seul est un homme seul contre tous.

William Holden dans Stalag 17 (1953)

William Holden dans Stalag 17 (1953)

Jack Lemmon se fait exploiter par l’intégralité des cadres de son entreprise. Le père de Sabrina est le seul de tous les domestiques à ne pas trouver formidable que le fils de la famille s’éprenne de sa fille à lui. Tom Ewell refuse de rejoindre le troupeau des célibataires estivaux qui draguent, bâfrent et se piquent la ruche en l’absence de madame.

Quant à Holden, ce n’est pas tout le bâtiment 4, c’est tout le stalag qu’il s’est mis à dos. Ses combines, son marché noir, son alambic, passe encore. Mais quand la rumeur fait de lui la taupe qui donne les copains aux Allemands, même les prisonniers des autres bâtiments refusent de l’accueillir.

Avec tout ça, une question demeure : qu’est-ce qu’on mange ?

Jus de choucroute on the rocks

C’est le seul domaine où le chef Wilder, pourtant autrichien comme vous et moi, se révèle américain pur sucre. La nourriture, c’est fait pour se nourrir.

Dès que ça devient de la cuisine, Wilder la tourne en ridicule. Il s’amuse des Français qui ont besoin de tout un cours de cuisine pour apprendre à casser un oeuf. Et des gourmets, de par le monde, à travers une figure récurrente : l’énumération interminable.

Jack Lemmon en bonne compagnie dans Irma la douce (1963)

Jack Lemmon en bonne compagnie dans Irma la douce (1963)

« Boeuf de Charolais. Porc du Périgord. Agneau de Bretagne. Veau de Normandie. De la cervelle et des rognons et des tripes. Des pieds de porc et des têtes de veau en attente de sauce vinaigrette. Saumon de la Loire. Sole de la Manche. Langoustes de Corse. Huîtres de Dieppe. Sardines de Lorient… » La visite des Halles, dans Irma la douce, se poursuit par le rayon primeurs, dont nous vous ferons grâce.

Mais les Français ne sont pas les seuls à en prendre pour leur grade. Les Italiens font rire avec leurs seize sortes de pâtes dans Avanti !  Quant aux végétariens… Hamburger au soja avec frites de soja, sorbet au soja. Et pour faire passer le tout, un cocktail : jus de choucroute on the rocks. C’est le menu de Tom Ewell dans Sept ans de réflexion. On souffre avec lui.

Le restaurant végétarien de Sept ans de réflexion (The Seven Year Itch, 1955).

Le restaurant végétarien de Sept ans de réflexion (The Seven Year Itch, 1955).

En fait, Wilder n’est pas contre la cuisine. Ce qu’il attaque, ce sont les gens qui en font un art, une science, voire une obsession. Ainsi ce gros gourmand d’Animal, dans Stalag 17, perd la boule en entendant son meilleur pote lui dévider tout un menu de petit déjeuner.

Les gens qui mangent compliqué auront des vies compliquées. Ceux qui savent se contenter des choses simples seront heureux. Chez Wilder, la simplicité tient dans une pomme.

Irma la douce

Une authentique pomme. Irma la douce

Pomme d’amour

Policier en uniforme, Jack Lemmon, anciennement préposé aux jardins d’enfants, vient d’être nommé aux Halles. Il prend une pomme à l’étalage, la croque et, à l’ébahissement du maraîcher, la paye. Un peu simple, il n’a pas compris que les dames peu vêtues au coin de la rue sont des professionnelles, et que les policiers touchent des pots-de-vin pour les laisser tranquilles. Il se fait virer de la police, séance tenante.

Souhaitant perdre du poids, Pamela se prive des seize sortes de pâtes d’Avanti! Lemmon commande un canard à l’orange, elle sort de son sac à main une belle pomme toute rouge. Pamela va très vite profiter à fond de son séjour à Ischia, faisant du scooter, se baignant sans maillot, savourant des glaces, sans se prendre la tête, tandis que Lemmon ferraillera sans relâche avec la bureaucratie italienne.

Jack Lemmon et Juliet Mills dans Avanti !, 1972.

Jack Lemmon et Juliet Mills dans Avanti !, 1972.

Certes, la pomme nous annonce une histoire d’amour en coulisses. Mais elle signale aussi les personnages qui vont à l’essentiel, ne se la racontent pas, ne trichent pas. Et quand deux pommes se rencontrent, cela donne cette merveilleuse scène de Sunset Boulevard.

Entre deux séances d’écriture, Joe et Betty déambulent dans les décors déserts de la Paramount, la nuit. Ils sont faits l’un pour l’autre. Ensemble, ils oublient ce qui leur complique la vie : elle sur le point d’épouser un trop brave type, lui coincé dans son Xanadu agonisant. Ils croquent chacun une pomme.

William Holden et Nancy Olson dans Sunset Boulevard, 1950

Seule une pomme sépare William Holden de Nancy Olson dans Sunset Boulevard, 1950

Il faut bien l’admettre, la simplification radicale se sa vie ne sera pas tout à fait du goût de Joe. Il payera sa décision d’aller vivre avec Betty de trois balles dans le buffet.

Puisqu’on vous disait qu’il ne fait pas toujours bon passer à table, chez Billy Wilder…

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Épisodes précédents

1. Du bon usage de la bouillotte

2. Du bourbon et autres explosifs

3. Du champagne comme piège à souris

4. De la lumière au fond du café

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Encore un peu de sagas ?

Saga Alfred Hitchcock

Saga Stanley Kubrick

Saga Comédies musicales

Saga Le Goût de l’Inde

Saga Nora Ephron

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5 réponses à “Saga Billy Wilder – 5 / Des dangers d’une nourriture saine et équilibrée

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