Saga Billy Wilder – 4 / De la lumière au fond du café

Marlene Dietrich, sans sucre.

Marlene Dietrich, sans sucre.

Après tous ces alcools, nous prendrons bien un petit café. C’est Billy Wilder qui paye. Et comme d’habitude, la tournée du patron nous réserve quelques surprises.

Joe (William Holden), Betty (Nancy Olson) et la cafetière, au premier plan. Sunset Boulevard, 1950. Toutes photos (c) Mirisch Corp.

Joe (William Holden), Betty (Nancy Olson) et la cafetière, au premier plan. Sunset Boulevard, 1950. Toutes photos (c) Mirisch Corp.

Joe, scénariste désenchanté, fait l’école buissonnière. Il échappe à Norma, son majordome et sa villa. La nuit, il retrouve Betty dans un bureau de la Paramount. Ils écrivent à quatre mains un scénario qui a de bonnes chances d’aboutir. Joe fait à la jeune fille le plus beau compliment que puisse faire un scénariste : « It’s fun writing with you. »

Mécanique des fluides

Et pendant cette belle séquence de Sunset Boulevard, Betty prépare du café. Elle utilise une cafetière spectaculaire, composée de deux récipients transparents superposés. L’eau en bas, le café en haut.

Les plans du brevet de la cafetière Automatic de 1939. Elle est améliorée en 1942 par un dispositif magnétique qui remplace le joint de caoutchouc. (c) General Electric

Les plans du brevet de la cafetière Automatic. (c) General Electric

Après étude de cet excellent site anglophone sur l’histoire des percolateurs à dépression, nous pensons pouvoir affirmer que la cafetière de Betty est une General Electric, de modèle « Automatic », où un dispositif magnétique remplace le joint de caoutchouc. Brevetée en 1942, huit ans seulement avant la sortie du film, c’est un objet design et ultramoderne qui ne dépare pas le bureau d’un décideur de Hollywood.

Pourquoi cette digression technologique ? Parce que la cafetière, joliment mise en évidence par le cadrage, tient lieu d’explication de la scène.

Nous avons deux récipients transparents, de taille égale, qui s’emboîtent parfaitement. Ils répondent à nos deux personnages de même génération, au talent complémentaire, et transparents.

Transparents, car ils trouvent à ce moment précis la vérité de ce qu’ils sont : Joe vit mal son emploi de gigolo, Betty vaut mieux que son job de lectrice, leur vrai métier c’est l’écriture. Et la vérité de ce qu’ils ressentent : en couple chacun de leur côté, ils sont en train de tomber amoureux l’un de l’autre.

Révélateur

Le café de Billy Wilder possède les mêmes propriétés chimiques que le révélateur photographique. Il révèle la vraie nature des personnages. Et plus précisément, il révèle leur point faible. La faille psychologique qu’ils devront surmonter pour arriver entiers à la fin de l’histoire.

Jack Lemmon dans Avanti !, 1972.

Jack Lemmon dans Avanti !, 1972.

Prenons par exemple Wendell Armbruster, Jr. Avec un nom pareil, Jack Lemmon, dans Avanti !, a du pain sur la planche. Cet industriel américain se rend pour la première fois en Italie pour les obsèques de son père.

Dans le train de Naples, il découvre l’espresso italien. À la grimace qu’il fait, on comprend qu’il y a un souci. Mais le souci n’est pas dans le café, il est dans Wendell. L’homme, imperméable aux charmes de la péninsule, est convaincu de la supériorité naturelle de l’Amérique sur le reste du monde. Son arrogance dépasse les bornes. Il est comme son café : imbuvable. Wendell devra s’améliorer, s’ouvrir à la dolce vita, pour s’en sortir.

Avanti café hôtel grimace

On notera qu’il fait des efforts. Dans sa somptueuse chambre d’hôtel, à Ischia, Wendell essaie le café nature. Ça ne passe pas. Il ajoute une bonne rasade de lait, rien à faire. Une avalanche de sucre, peut-être ? Il goûte, grimace, et va jeter le tout dans les toilettes. Wendell est sur la bonne voie, mais il n’est pas encore prêt.

Instantané

Mais ce n’est pas simplement la boisson chaude qui met à jour les fêlures de nos héros. On l’a vu avec la cafetière de Sunset Boulevard : la nature même du café, son mode de préparation, nous racontent ce qui se passe dans la tête des personnages.

Pour le Wendell d’Avanti !, nous avons affaire à un espresso, et ce n’est pas anodin. Wendell est pressé par le temps, tendu comme une corde à violon. Il n’a que quelques jours pour rapatrier la dépouille paternelle, et il entend que les démarches soient exécutées tambour battant. Il va devoir mettre de l’eau dans son macchiato

Jolie métaphore aussi dans Témoin à charge. Leonard / Tyrone Power, soldat américain, rencontre Christine / Marlene Dietrich, chanteuse allemande, dans un bar à soldats de Berlin. Après le départ des troupes, le duo se retrouve en tête-à-tête. Leonard propose un café à Christine. Il a sur lui une boîte de café instantané.

Tyrone Power et Marlene Dietrich. Témoin à charge  (Double Indemnity), 1944

Tyrone Power et Marlene Dietrich. Témoin à charge (Witness for the Prosecution), 1944

« Combien ? » demande la jeune femme. Leonard est surpris : « Je ne sais pas. Quel est le taux de change ? » Il s’avèrera que le taux de change est d’un baiser par cuiller à café. « C’est un plaisir de faire des affaires avec vous« , s’amuse Christine entre deux baisers. Ces deux-là se sont trouvés. Leur alliance est instantanée. Comme le café.

Mais encore une fois, le café nous en raconte bien davantage sur les failles et les points faibles de nos héros. Christine fixe les règles du jeu, un baiser par cuillerée, et espère que son partenaire tiendra sa part du marché. Cette confiance la perdra. De son côté, Leonard nous apprend qu’il s’agit du « même café que boit le maréchal Montgomery« . Leonard mène ses conquêtes amoureuses comme autant d’opérations militaires, sans se soucier des cadavres qu’il laissera derrière lui.

Cérémonie du thé

Puisque le café révèle les défauts de l’armure, qu’en est-il du thé ?

On dirait bien que pour le thé, c’est la même chose, sauf que c’est l’inverse. Explications, avec une scène facétieuse de Stalag 17.

Deux nouveaux venus prennent leurs quartiers dans le Bâtiment 4. Le sergent Bagradian (Jay Lawrence) et le lieutenant Dunbar (Don Taylor) sont des prises de choix pour les Allemands : Dunbar vient de faire exploser un train de munitions ennemi.

Shapiro (Harvey Lembeck), Animal (Robert Strauss) et Bagradian (Jay Lawrence). Stalag 17, 1953.

Shapiro (Harvey Lembeck), Animal (Robert Strauss) et Bagradian (Jay Lawrence). Stalag 17, 1953.

Les prisonniers du Bâtiment 4 improvisent une cérémonie de bienvenue : on sert le thé. Un vrai sachet, probablement en service depuis la déclaration de guerre, de vraies tasses, le papier hygiénique fait office de serviettes de table. L’ambiance est rigolarde.

Durant la scène, il va se passer deux choses importantes. Bagradian va révéler comment Dunbar s’y est pris pour faire sauter le train, sans savoir qu’il est écouté par la « taupe » au service des Allemands. Et Dunbar va poliment, mais fermement, envoyer promener Shefton (William Holden) qui raille ses origines fortunées.

Tirage positif

Le résultat de la séquence, c’est que Dunbar apparaît comme un type sympathique, ingénieux, modeste et carré. Le genre d’officier qu’on suivrait au bout du monde. Alors, quand il tombera aux mains du commandant du camp, c’est tout le bâtiment 4 qui se mobilisera pour le faire évader.

Le thé agit comme révélateur sur les protagonistes de la scène. Mais au contraire du café, ce sont les points forts du personnage qu’il met en valeur.

Un thé aux couleurs du personnage. Jack Lemmon et Shirley MacLaine, Irma la Douce, 1963.

Un thé aux couleurs du personnage. Jack Lemmon et Shirley MacLaine, Irma la Douce, 1963.

Même mécanique dans Irma la douce, où le thé à la menthe révèle les bons côtés de l’ancien policier campé par Jack Lemmon et de la péripatéticienne jouée par Shirley MacLaine. Rebelote aussi dans Assurance sur la mort, où notre héros, aux prises avec une grande carafe de thé glacé servie par Barbara Stanwyck, affiche un pragmatisme indéboulonnable qui aurait suffi, dans une intrigue moins sulfureuse, à lui sauver la mise.

Une fois de plus, Wilder piétine frivolement les clichés de Hollywood. Le café-boisson-d’hommes et le thé-pour-mauviettes n’ont pas cours chez lui. Dans la machine infernale du professeur Wilder, chaque rouage tient son rôle comme nulle part ailleurs. Et si nous n’avions pas peur de lasser, nous vous parlerions des sodas, boisson des pigeons, et de la bière, drink des solitaires.

Mais dans le dernier épisode de la série, c’est de nourriture solide dont nous vous entretiendrons. Il est grand temps, certes. Toutefois, ne vous impatientez pas trop. Passer à table, chez Billy Wilder, n’est pas toujours de bon augure…

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Dans le prochain épisode :

Des dangers d'une nourriture saine et équilibrée

Des dangers d’une nourriture saine et équilibrée

Épisodes précédents :

1. Du bon usage de la bouillote
2. Du bourbon et autres explosifs
3. Du champagne comme piège à souris

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4 réponses à “Saga Billy Wilder – 4 / De la lumière au fond du café

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